Enquête par S. Lana & H. Servel.

Pas de dispositif anti-incendie, surpopulation, absence de tout produit sanitaire… Fin juin, le préfet des Bouches-du-Rhône a ordonné la fermeture du mas de la Trésorière loué par l’entreprise de travail détaché Terra Fecundis qui a accueilli malades du Covid-19 et cas-contacts. Pourtant, 25 travailleurs saisonniers y séjournent encore.

À quelques kilomètres d’Arles, au bord du petit Rhône, le mas de la Trésorière a désormais des allures de maison fantôme. La plupart des saisonniers agricoles qui y résidaient ont quitté les lieux. Les habits abandonnés sur des fils à linge claquent dans le mistral de juillet, les fissures qui balafrent les façades des bâtiments apparaissent sous le soleil du zénith. Certaines chambres semblent avoir ont été quittées dans l’empressement, leurs habitants abandonnant là chaussures, tube de dentifrice, sucreries ou masque de protection.

Fin juin, la préfecture des Bouches-du-Rhône a demandé la fermeture pour insalubrité du Mas de la Trésorière à Arles, qui a hébergé jusqu’à 120 travailleurs détachés employés par l’entreprise espagnole Terra Fecundis venus travailler comme saisonniers. Début juin, cette bâtisse était au cœur du cluster qui a touché des travailleurs agricoles dans le nord du département. Marsactu avait alors visité ce lieu, où les travailleurs agricoles confinés ne savaient pas ce qu’ils allaient devenir. Selon la préfecture, les travaux nécessaires à la mise en conformité de ce lieu d’hébergement collectif devaient être effectués dans les deux mois et ne pouvaient être réalisés en présence des travailleurs.

FERMÉ ADMINISTRATIVEMENT MAIS TOUJOURS OCCUPÉ

Mais plus de trois semaines plus tard, ils sont encore 25 travailleurs originaires d’Afrique de l’Ouest à loger dans ce lieu désert, isolé et sans eau potable. La journée, ils continuent à travailler dans des exploitations agricoles de fruits et légumes de la Plaine de la Crau. Pourtant, le propriétaire des lieux, Didier Cornille, ainsi que l’entreprise locataire Terra Fecundis, avaient été sommés de reloger les ouvriers agricoles dans un délai de deux jours. Le lieu aurait dû être fermé quatre jours après la publication de l’arrêté.

Amine* fait partie de ceux qui y vivent encore. Sans voiture et sans lien dans la région, il est condamné quand il ne travaille pas à rester sur place, dans cet endroit désert et balayé par le mistral. Après ses trois mois de travail avec Terra Fecundis, il est persuadé de ne jamais plus revenir travailler avec l’entreprise. « On m’avait dit que je pourrais bien gagner en France. Si j’avais su que j’allais trouver ça ici, je ne serais jamais venu », lâche-t-il désabusé, assis sous les platanes du mas, oreillettes pendues aux oreilles.

Ce Sénégalais d’une quarantaine d’années est une des seules personnes à bien vouloir s’exprimer. La situation actuelle n’est pas le premier mauvais traitement qu’il subit. Il est arrivé en France en plein confinement dans l’espoir de trouver un boulot alimentaire pour remplacer son travail de serveur dans un hôtel de Majorque (Espagne), stoppé net avec la pandémie. Il a connu des conditions de travail contraires à toute règle en vigueur. « On travaille jusqu’à 14 heures par jour et à jamais savoir à quelle heure on allait finir. » Dès le 1er juin, il exprime à ses responsables son souhait de repartir en Espagne : « Je leur ai demandé de me descendre en Espagne mais à chaque fois, ils me disaient « oui oui, demain, demain, demain… » » Il raconte aussi des pauses de midi parfois confisquées pour des temps de déplacement non payés, des montants prélevés sur le salaire : « 50 euros pour aller à l’hôpital, 200 euros si le travailleur ne finit pas les trois premiers mois du contrat… »

DE MULTIPLES DYSFONCTIONNEMENTS

Pour établir l’interdiction d’habiter au Mas de la Trésorière, l’État s’y est pris en plusieurs temps. Une première mise en demeure émanant de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte PACA) a été dressée le 3 juin, sans que la situation ne s’améliore. Le deuxième arrêté de fermeture, que Marsactu a pu consulter, rappelait les problèmes constatés : des literies dégradées, une « absence de tout moyen de lutte contre les incendies », une suroccupation des chambres partagées par les saisonniers, des gaines et fils électriques dénudés, un manque de ventilation et des murs décrépis dans les sanitaires notamment. Alors que des personnes infectées par le coronavirus et des cas-contacts s’y côtoyaient courant juin, les fonctionnaires notaient l’absence de mise à disposition de savon et de gel hydroalcoolique.

Aujourd’hui maîtrisée, la crise sanitaire a servi de révélateur quant aux conditions d’accueil des travailleurs détachés. Le 290 cas positifs détectés sur les exploitations agricoles des Bouches-du-Rhône ont attiré l’attention. Ce mas sert depuis des années à les loger sans que personne ne s’en émeuve. Le propriétaire n’avait, selon les services de l’État, pas pris la peine de déposer la déclaration d’hébergement collectif auprès de l’inspection du travail.

La gendarmerie et la Direccte préfèrent ne pas s’exprimer sur la situation actuelle présentée comme « une affaire en cours ». Une source proche du dossier est amère face à la situation des saisonniers : « Cette situation met en évidence le nombre d’employeurs irrespectueux des personnes et des règles. L’État a géré cette situation pour que la production continue et pour que les entreprises ne tombent pas. » Son action pourrait toutefois nourrir a posteriori des poursuites pénales contre les employeurs et bailleurs peu scrupuleux.

* Le prénom a été changé

Article en accès libre

Source : Mars Actu, 20 juillet 2020